Le prof, la SEMIL et la claque!

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Il faut raison garder!Il y a quelques jours, j’ai vu une vidéo devenue virale sur les réseaux sociaux. Personnage principal dans ces images, Fridolin Nke, docteur en philosophie et enseignant à l’Université de Yaoundé I. L’air grave, la mine déconfite, debout les mains aux hanches, dépité et confus, le prof se trouve dans un bureau tapissé de rouge, avec derrière lui l’effigie du Président Biya ! L’universitaire dit être dans le bureau du colonel Bankoui, et il précise avoir été giflé par le pandore et un de ses collaborateurs ! Manifestement, nous sommes là dans un cas de privation de liberté, de séquestration et de violence puisque Fridolin Nke affirme par ailleurs être dans ces lieux contre son gré !Aujourd’hui, au Cameroun, la phénoménologie de la violence se manifeste sous une diversité de formes, des plus banales aux plus complexes, dont les références gravitent autour de l’affirmation du pouvoir des plus forts sur les plus faibles. Le tissu social est en pleine convulsion. La guerre a élu domicile dans l’Extrême-Nord, l’Est, le Nord-Ouest et le Sud-ouest ; l’actualité la plus récente fait état d’un bilan lourd (une quinzaine de militaires tués entre Bamessing et Sabga, dans le Nord-Ouest anglophone). Alors qu’on assiste à la déliquescence socio-économique de la majorité de la population, une minorité affiche de manière ostentatoire sa richesse, son pouvoir et son prestige, attitude provocatrice propre à exacerber les conflits de classes. Une telle ambiance délétère ouvre la voie à des violences multiformes. Tout comme avec les millions d’autres internautes, je ne suis pas resté de marbre en regardant la vidéo relative à la retransmission du Docteur Nke en direct du bureau d’un haut gradé de la gendarmerie camerounaise. Une violence encore, une violence de trop, pourrait-on dire ! Chacun y est allé de son analyse, de son commentaire, d’où la multiplicité de réactions sur la Toile et dans les chaumières, avec en toile de fond, un registre sémantique propre à la violence d’où ressortent en tête de liste les vocables « agression » et « impertinence ».Une explication d’ordre conceptuelle est ici nécessaire pour établir un distinguo entre impertinence et agression.L’impertinence est une attitude, celle de quelqu’un qui cherche à choquer par la liberté de ton dans son discours. L’orateur impertinent agit avec une certaine désinvolture que d’aucuns taxeraient même d’insolence.L’agression, quant à elle, est un acte de prise de pouvoir envers une personne et peut revêtir une forme physique ou morale. Lorsqu’elle est physique, l’agression est une atteinte corporelle qui a pour but de blesser ou d’humilier la victime.Fridolin Nke est connu pour son verbe tranchant, son impertinence qui, parfois, frise la provocation. L’intellectuel qu’il est ne souhaite à aucun prix se faire dépouiller de son essence définitionnelle. Il s’est même permis, ô rage !, de déconstruire avec désinvolture, dans son tout récent ouvrage, l’approche méthodologique de la philosophie africaine du professeur Ebenezer Njoh-Mouelle ! C’est dire s’il ne recule devant rien ni personne. L’homme que le prof. avait en face de lui n’est pas inconnu du public camerounais. La seule évocation du patronyme Mbamkoui donne froid au dos à tous les pensionnaires des cellules de la Sécurité militaire (SEMIL) dont il est le patron. Et le portait que l’on dresse de lui n’est pas celui d’un enfant de chœur ! Des témoins affirment que dans l’exercice des fonctions du colonel, le binôme « peur / violence » est une donnée constante. Pas donc surprenant qu’il ait accueilli l’universitaire Nke avec une paire de claques, ce d’autant plus qu’il existait déjà un climat délétère entre les deux personnages, au-delà d’un contexte national où les abus de pouvoir et les trafics d’influence sont légion ! La gifle administrée par le colonel n’était surement pas pour lui caresser la joue, mais pour lui foutre une de ces trouilles, pour instaurer la peur ; c’était pour le pandore, un moyen d’assurer son existence et de révéler en toute quiétude son pouvoir d’asservissement. Enseignant de philosophie, Dr Nke sait pertinemment que l’oppresseur a généralement recours à la violence pour combler un vide existentiel, intellectuel et moral. Pourtant, nous avons vu un Fridolin Nke appeuré et terrifié, un homme psychologiquement et physiquement diminué, une institution universitaire camerounaise ébranlée face à l’argument de la force déployée par le treillis ! La raison est simple : son bourreau d’une journée a des coudées franches dans un pays où chaque élite gouvernante fait étalage de son pouvoir et de son droit de vie et de mort sur ses proies.Une telle situation était-elle prévisible ? Connaissant les deux parties en présence, on ne peut répondre que par l’affirmative. Je le disais tantôt, le Dr. Fridolin Nke est une espèce d’intellectuel anarchiste. Il vit dans un État qui a entenaillé la capacité de l’engagement de l’intellectuel, de même que sa libre expression, l’obligeant quasiment à faire allégeance. Contestataire avéré, l’essayiste un tant soit peu provocateur serait le dernier à interdire que l’on parle de lui. Ce trait de caractère lui permet non seulement d’être objet mais en même temps sujet. De plus en plus, sa popularité grandit au fil de ses passages dans les médias ; ce polémiste engagé dans un combat idéologique personnel qu’il appelle discernologie se laisse parfois emporter par une passion discursive remplie de termes qui, sortis de leur contexte ou mal assimilés, pourraient être assimilés à de la provocation. Cette attitude pourrait bien évidemment ouvrir la voie à un vaste champ d’interprétations. Docteur Fridolin Nke gagnerait à faire preuve de discernement surtout dans un environnement socio-politique où la force de l’argument n’a véritablement pas droit de cité. Dans une société de violence et de ténèbres, il lui importe d’éviter de surfer à tort et à travers sur la vague protestataire contre un pouvoir caractérisé par un manque criant de pondération, de justice sociale et d’équité. L’ivresse de soi peut parfois pousser à croire qu’on a gagné la bataille des idées…Pas toujours vrai si l’on a en face de soi un colonel des Tropiques qui pâtirait d’un manque de confort intellectuel adéquat !Jean-Marie Watonsi

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